"Le monde souffre énormément.
Non pas à cause de la violence des gens malsains,
mais à cause du silence des gens braves "

vendredi 15 avril 2011

nouvelle de Science-Fiction: Identity




Identity


"Faye planche-à-pain, Faye planche-à-pain" chantaient les filles de la table vosine de celle de Faye et Rebecca. Le grand hall embaumait le choux, les patates et les haricots, tout le monde parlait, mangeait, bougeait les chaises si bruyamment que Faye s'entendait à peine penser 

"Ignore-les" suggéra Rebecca

Faye ne dit rien. Elle ouvrit son panier-repas et fouilla ses poche à la recherche de son médicament. Elle extrait une pilule de la bouteille et l'avala dans une gorgée de sirop d'orange de son Thermos "Helen Fryer"

"C'est pas bon d'avoir des secrets, tu sais" Rebecca l'observait tentant de lire l'étiquette de la bouteille

"On appelle ça des anti-androgènes." Faye re-glissa le récipient dans sa poche. "Je t'ai dit, j'ai un dérèglement hormonal, c'est tout" Ce n’était même pas un pieux mensonge se convainc-t-elle, seulement une partie de la vérité.

"C'est pour ça que tu n'est pas encore .. tu sais... formée?" demanda Rebecca, mordant dans son sandwich.

"C'est pas bon non plus d'insister" Faye se forçait à avaler son déjeuner, sans appétit.

 "Désolée" dit Rebecca. "C'est juste que c'est pas pareil sans toi en cours de natation. Qui d'autre je dois embêter?" 

"Je te fais confiance pour trouver."  répondit Faye

Rebecca releva la tête en réfléchissant." Comment ça se fait que tu puisse pas nager avec nous? Juste parce que t'as pas commencée ta puberté? j'veux dire, Jenny est encore plus à la bourre que tout le monde mais elle va nager quand même"

"Je préfère pas en parler" Faye n'osa même pas lever les yeux de son repas. Elle pouvait déjà sentir monter cette sorte de douleur qui annonce qu'elle serait bientôt en larmes si elle relâchait son attention. Elle tentât de changer de sujet : 
"T'as fini le nouvel épisode de Fryer?" 

"Hein, ça?" Rebecca sortit un disque argenté de sa poche de veste, et le tint à la vue de Faye. "Tu veux l'essayer?" 

"je pourrais me laisser convaincre." son regard erra assez longtemps pour croiser celui de Rebecca. Grosse erreur. Elle tentait de ne pas penser à quel point elles semblaient rayonner comme un sentiment d'espiègle malice, ou comme les fermes boucles châtain de sa coiffure pouvaient le cacher, partiellement.
Rebecca tendit le disque à Faye, et le temps d'un instant, leurs mains se touchèrent lorsque le disque passa de l'une à l'autre.
"Merci."  Faye glissa le disque dans sa poche et essaya de se concentrer sur son repas.


Faye admirait un ciel bleu et clair qui n’était pas là, écoutant une douzaine de conversations sur rien en particulier. Elle respira profondément, savourant l'odeur de l'herbe fraîchement coupée sur laquelle elle n’était pas vraiment allongée. Certes elle était en réalité allongée sur son lit, ses sens alimentés par le lecteur Digitac diffusant l'enregistrement sensoriel d'Helen Fryer, une des actrices les plus populaires du moment. Elle voyait et entendait tout ce qu'Helen avait pu voir et entendre, mais ne pouvait choisir où aller, elle n’était qu'un observateur, un témoin intime

Faye sentit quelqu'un serrer sa main, et se tourna vers lui. Naturellement, c'etait James. Il avait cette allure robuste qui était en ce moment considérée comme attractive par les autres filles de sa classe. Ses cheveux décolorés étaient juste assez longs pour cacher ses yeux noisette, et lorsqu'elle l'embrassait, sa barbe rasée de la veille était douce comme du papier de verre. 
Elle n’était pas sure d'avoir un type, mais si c’était le cas, James n'en était pas.

"Je t'aime, James," elle s'entendit-elle dire 
 "Je t'aime aussi, Helen," dit James, dont le sourire s'étendit, et Faye sentit le sien en faire autant. Il se pencha vers elle, elle se pencha vers lui, fermant les yeux. Lorsque leurs lèvres se rencontrèrent, elle commença à ouvrir la bouche, le laissant séparer ses lèvres avec sa langue. 

"Eeww!" pensa Faye en ouvrant les yeux et tâtonnant à la recherche du bouton STOP du Digitac, submergée par deux images se superposant dans sa tête. Elle pressa juste à temps. Soudain, l'immaculé ciel bleu laissa place aux nombreux posters de rock stars féminines qui ornaient les murs de sa chambre, le bavardage des passants se tût brutalement, et à sa place elle pouvait entendre le terne murmur de la désuète télévision murale au rez-de-chaussée
Baissant les yeux sur elle-même, Faye soupira mélancoliquement. Au moins, elle s’était extraite de sa veste, blouse, jupe en polyester, et des bas opaques qui constituaient son uniforme scolaire. A la place, elle portait un top rose clair sur un soutien-gorge rembourré - comme si ça pouvait duper qui que ce soit - et une minijupe en jean, des vêtements dans lesquelles elle ne craignait pas d' être vue, mais cela ne changeait rien au fait que les autres filles avaient raison: elle était plate .

Elle ouvrit un tiroir de sa commode près de son lit, souleva une pile de magazines brillants, et retira le disque Digitac dont elle aurait été incapable de parler à quiconque

Sur l'étiquette elle pouvait lire "Démonstration d'exercice Kelly Travis" . Il avait été offert dans une boite de céréales, du genre sans sucres. Il était supposé démontrer que faire de l'exercice dans les salles de gym "Kelly Travis" n'etait pas aussi difficile que ça en a l'air.
Faye éjecta le disque Helen Fryer et jeta sur le lit à coté du lecteur, puis glissa le disque Kelly Travis et appuya sur "play" 


Quelques secondes plus tard, elle courait sur un tapis de marche, face à un grand mirroir. Elle pouvais sentir sa propre sueur, forte et tenace, mais ce n’était pas important. En refermant ses yeux, elle voyait son propre visage, ou du moins, celui d'une actrice sans nom, ses yeux bleus la regardant à travers sa frange blonde, souriant avec la détermination et sachant qu'elle pourrait se dépasser cette fois. Les actrices de Digitac souriaient presque tout le temps. Elle pressa quelques boutons sur le tapis, qui bipa en réponse, tandis-que le moteur accélérait.

Ses muscles devinrent rapidement douloureux, mais ça valait le coup. Elle pouvait ressentir chaque centimètre carré de son corps parfaitement développé et défini. Chaque pas la remplissait de cette satisfaction qu'elle ne pouvait atteindre dans la vraie vie. Elle était souple et mince, mais plus dangereusement maigre. Elle était bien formée, avec des courbes qu'elle ferait n'importe quoi pour obtenir dans la vraie vie. 

Soudain, Faye sentit une main sur son épaule. Elle pressa encore le bouton STOP et ouvrit les yeux


"Ton père et moi nous voudrions te parler quand tu auras une minute" Sa mère se tenait près du lit, les yeux baissés sur Faye
"Qu'est-ce que j'ai fait?" protesta Faye
"Rien du tout voyons."
 Faye plissa les yeux vers sa mère, protégeant ses yeux de la lumière de la pièce avec sa main."Qu'est-ce qu'il y a alors?"
Sa mère soupira de frustration. "S'il te plaît, viens"

Le temps que Faye arrive au salon, la télévision était éteinte. Ses parents étaient assis, silencieux, face à la cheminée, qui était toujours couverte des carte d'anniversaire de Faye 

"Assieds-toi donc, ma puce" suggéra sa mère

Faye s'assit dans le canapé, face à ses parents. Ils avaient un air solennel, comme lors de la mort de son oncle.

Sa mère se racla la gorge. "Tu sais que tu est... différente des autres filles?" 

"j'aime pas Helen Fryer autant qu'elles," suggéra Faye

"Non, pas ça" coupa sa mère, d'un ton frustré. 

"Ton corps," commença son père, ayant presque l'air de s'excuser. "Tu sais, la raison pour la quelle tu révises tes maths pendant que tes amis ont natation."  

"Oh." Faye réalisa soudainement où ils voulaient en venir. "ça." Elle baissa les yeux vers le tapis en laine

Des années plus tôt, ils avaient eu une conversation similaire. Ils lui avaient expliqué comment tous les bébés passent des tests médicaux désormais, depuis que le gouvernement privilégiait la prévention à la guérison.
Lors de son examen, le scanner haute-définition avant apparemment révélé qu'elle était une petite fille en parfaite santé, en dépit de son corps de petit garçon en parfaite santé.

 C'était un problème vieux comme le monde, lui avaient dit ses parents. Elle avait eue beaucoup de chance d’être née à ce moment, puisque seulement quelques dizaines d'années plus tôt, les gens touchés par son trouble devaient s'en sortir par eux-mêmes pendant parfois des dizaines d'années voire même tout au long d'une vie d'angoisse

De nos jours, c'est un problème dont votre docteur parle aux parents à la naissance

"je sais que tu n'aimes pas vraiment ton corps," dit son père.
"Je ressemble à un monstre" marmonna Faye.

"C'est pas vrai" dit sèchement sa mère. "Tu es aussi adorable que toutes tes amies"
Faye ne prit pas la peine de répondre.C'etait simplement faux. Karen, Sarah et Louise avaient toutes commencées à porter un soutien-gorge cette année, et elle n'avait qu'une poitrine plate, et une grosseur disgracieuse dans ses culottes. C'était hideux. Elle avait la chair de poule, rien que d'y penser.

 "Ces pilules que tu prends sont juste une mesure temporaire,"continua sa mère. "Elles retardent ta puberté, mais tu ne peux pas les prendre pour toujours." Sa voix devint étrangement douce et calme

"Tu va devoir faire un choix."
"Quel genre de choix?" demanda Faye, les yeux toujours fixés sur le sol. Elle pouvait déjà les sentir se mouiller.

Son père prit le relais: "On peur te donner une autre pilule qui donnera à ton corps les estrogènes qu'il aurait dû produire. Tu deviendrais rapidement comme tes amies, tu sais, avec de la chair sur les hanches, et... " il regarda la poitrine de Faye, incapable d'être si franc envers sa propre fille. "... d'autres endroits." Il changea rapidement de sujet "Mais tu dois faire un pas de ton coté aussi et commencer à manger normalement." 

 Faye leva les yeux vers lui, le regard plein d'espoir. Il était flou derrières ses larmes. 

"Et aussi, tu sais... on a économisé depuis ta naissance. je sais que noël et tes anniversaires étaient un peu pauvres en cadeaux, mais tu pourras avoir une opération pour arranger...." il regarda en direction de son entrejambe. "... tu sais."

"Vraiment?  C'est vrai?" Faye reniffla


"Il y a une autre option," fit remarquer sa mère.



"je ne veux pas te pousser à quoi que ce soit, mais ça voudrait dire que ton corps ne serait pas si malmené, tu pourrais utiliser l'argent pour aller au lycée tu pourrais même avoir des enfants un jour. ça ne me déplairait pas d'avoir des petits-enfants.


Son père lança un regard à sa mère qui la fit taire.

"Qu'est-ce que vous voulez dire?" s'enquérit Faye, ses yeux cherchant une réponse de sa mère à son père.

"Il y a une nouvelle opération que tu peux avoir." Son père avança dans son fauteuil. "Ça se fait depuis quelques années"

"Il n'y a aucun risque," assura sa mère, "Beaucoup de filles avec ton problème l'ont eue"

"Quel genre d'opération?" Faye n'aimait pas la tournure de tout ça

"Ça voudrait dire que ton corps ne te déplairait plus autant" Sa mère semblait remplie d'espoir. "En fait, tu apprécierait de grandir avec"

Faye tentait de comprendre où ses parents voulaient en venir "Quel genre d'opération?" elle répétait.

"Ça à quelque chose à voir avec la façon dont ton cerveau est câblé" dit son père

"De la chirurgie du cerveau??" s'indigna Faye, choquée que ses parents puissent suggérer une telle chose.

"Tu serais toujours toi" assurait sa mère

"Enfin en majeure partie," corrigea son père

"Oh, arrête de l'effrayer!" pesta sa mère, puis faisant face à Faye, elle ajouta "tu serais toujours la même personne, tu serais juste...enfin...  un garçon ."

Avant même de comprendre, Faye décampa de la pièce. Elle monta les marches en courant, n'en voyant qu'un désordre flou à travers ses larmes, et claqua la porte de sa chambre avant de se jeter dans son lit, les yeux dans son bras.

Lorsque elle se laissa enfin pleurer sans retenue, c’était un une sorte de soulagement . Elle se laissait aller, laissant la douleur déferler sur elle. Le tas de peluches à son coté n'offrait aucun réconfort, leur présence semblait tout à coup puérile. Ses parents pouvaient bien lui dire à quel point ils l'aimaient, elle avait le sentiment que tout ce qui comptait pour sa mère était d'avoir des petits-enfants.




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"Alors, qu'est-ce que tu a pensé de lui?" demanda Rebecca en s'asseyant sur son lit, le dos contre le mur.

"Qui?" demanda Faye. Elle fit un effort pour arrêter de fixer éberluée les tresses parfaitement bouclées de sa meilleure ami et redescendit de sa rêvasserie.

"James" dit Rebecca, balançant sa tête en arrière en signe de frustration.

"Oh." Faye sortit le disque argenté de sa poche et lui donna. "Merci."

"Tu va pas échapper à la question si facilement!" Rebecca prit le disque et le posa sur une pile, sur la commode près de son lit.

"J'sais pas.." dit Faye dans un haussement d'épaule" Il est ok, j'imagine"

"Juste OK?" demanda Rebecca incrédule.

"C'est pas comme si je voulais avoir des enfants avec lui ou quoi..." rajouta Faye

"Bon sang, t'aimes pas Toby, t'aimes pas James, mais qui est-ce que tu aimes donc ?" Rebecca grimaça le temps d'une seconde

"Je t'aime toi" fit remarquer Faye

"Ouaip, mais pas aimer Aimer, pas comme on aime les garçons."

Faye fit un effort pour détourner son regard des douces joues et des parfaites lèvres de Rebecca. "Qu'est-ce qu'ils ont de si bien, les garçons, de toute façon?"

"Ils ont leur moments" dit Rebecca. "Enfin quelques une en tout cas. Peut-être pas ceux de la classe, mais peut-être quand ils seront plus vieux "

"Ça risque d'être long." Faye gardait les yeux fixés sur le sol.

"Il leur faut juste quelques années de plus pour grandir, c'est tout. Laisse-leur du temps, tu verras . Et puis, si tu t'aimais pas les garçons, alors tu aimerait qui ? "


"Faye!" appela la mère de Rebecca depuis le rez-de-chaussée. "Ta mère est la!"

"Faut que j'y aille." Faye se leva. "Merci pour l'épisode de Fryer."



"Y'à pas de quoi." Rebecca l' observait du même regard que celui avec lequel elle regardait les chenilles et les papillons, les yeux concentrés de curiosité bien intentionnée. Pendant une seconde, Faye oublia de s'inquiéter du choix qu'elle avait à faire, et de de combien elle pouvait en dire à Rebecca, et se laissa juste perdre dans son sourire.




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Faye regardait ses posters familiers de chanteuses de rock en s'allongeant dans son lit, perdue dans ses pensées.



D'un coté, elle ne voulait pas mourir. Elle se rendait compte que la personne qui se remettrait de cette chirurgie du cerveau, qu'importe sa gentillesse, qu'importe son bonheur, ne serait simplement plus elle.  Bien sûr, il lui ressemblerait comme un frère, et il garderait ses souvenirs comme une étrange réminiscence, mais il aurait d'autres motivations, d'autres ambitions, une approche différente de la vie. N'est-ce pas?

En plus, elle ne pouvait supportée l'idée de donner à un complet étranger, quelqu'un qui n'existait même pas encore, tous ses bagages émotionnels. Les souvenirs d'avoir essayé de faire face à son défaut de naissance, d'avoir essayé de le comprendre, et d'avoir été constamment  harcelée à l'école à cause de ses différences... Elle n'en voulait pas elle-même, et l'idée d'handicaper quelqu'un de ces souvenirs la faisait grincer des dents.

D'un autre coté quelqu'un d'autre aurait de bien meilleures chances qu'elle de trouver le bonheur. Il hériterait de ses cicatrices psychologiques, mais pas des dizaines, physiques, que la chirurgie lui infligerait. Peut-être son enfance paraîtrait aussi distante et irréelle qu'un épisode de Digitac.

Donc son choix était soit de grandir pour devenir une femme sans grande estime de soi, et un corps malformé, ou offrir le reste de sa vie à un garçon, qui -hormis d'étranges souvenirs- pourrait être plutôt normal. Sa vie serait certainement plus facile, surtout s'il voulait sortir avec des filles.


Elle attrapa son oreiller, le serra fort et se mit en boule. Pourquoi cela devait-il lui arriver à elle? Elle n’était qu'une fille qui essayait de vivre une vie normale.

Enfin, elle prit une décision. En son fort intérieur elle était assez sûre que c’était la mauvaise, mais c’était la seule qui s'imposait.Au moins, de cette façon, elle ne serait plus un poids et un embrassement pour tout le monde


"C'est ta dernière chance de changer d'avis" dit le docteur d'une voix douce et sympathique. Il mit ses mains sur les siennes.' Est-tu sûre de vouloir faire ça?"

Faye baissa les yeux sur leur mains. Son poignet entouré d'un bracelet bleu clair avec son nom et sa date de naissance imprimés." Ils devraient bientôt le changer, elle réalisa.

Bien sûr que je ne suis pas sûre, pensait-elle, quelqu'un l'a déjà été? Elle retint ses larmes."Oui je suis sure", elle dit avec un hochement de tête. Elle voulait seulement que ce soit passé.








David ouvrit les yeux. Une lumière blanche et floue remplissait la pièce. lentement, tout devint plus net. il était allongé sur un lit d’hôpital, trempé de sueur. un ventilateur était perché sur la table près de son lit, soufflant une douce brise fraîche sur son visage. Il regarda autour de lui. Au-dessus de lui pendait un sac rempli de liquide, avec un tube courant jusqu'à son bras. Il trouva un miroir sur la table, près du ventilateur, le tint face à lui, il contempla son reflet.

 C'etait le même qu'il avait toujours été, sauf que là ou de longs cheveux frisés furent autrefois, il y avait maintenant un bandage sérré, tâché de sang. C’était clairement le visage d'un jeune garçon qu'il regardait. Pour la première fois, il n’était pas repoussé par cette vision. Ce n'était pas comme regarder un étranger avec qui l'on doit composer à contrecœur.C'était plus comme... il y réfléchit. C'était comme rien du tout . Son reflet  ne provoquait aucune sorte d'émotion en lui. Ce n'était pas bon, ce n'était pas mauvais, c'était juste lui. Ça avait toujours été un problème avec Faye: non pas que son corps était mauvais, il n'était seulement pas elle.


 Il se souvenait de tout. Non seulement les actions de Faye, mais aussi ses plus profondes pensées. Il se souvenait la façon dont certains soirs, en allant se coucher, elle baissa les yeux sur sa poitrine plate et son manque de formes, et sentait la douleur qui précède les larmes. Il se souvenait les sentiments qu'elle avant commencé à ressentir pour sa meilleure amie, Rebecca. Ces souvenirs étaient à lui maintenant, mais pas les sentiments.

Regardant la silhouette de ce corps légèrement mal-nourri mais autrement bien portant caché sous les draps et sa blouse médicale, il ne sentit plus aucune répulsion. Hormis la nausée et l'écrasant sentiment qu'il avait besoin de repos, d'une façon étrange, il se sentait bien pour la première fois de sa vie. C’était enfin terminé.


En marchant vers la maison de Rebecca, David grattait sa cicatrice à l'arrière de sa tête. Il n'était toujours pas habitué a la sensation de ses cheveux ras contre ses doigts. Il appuya sur la sonnette et attendit.

La mère de Rebecca ouvrit la porte, mais elle ne l’accueillit pas avec enthousiasme comme elle l'avait toujours fait. A la place elle le regardait comme si elle attendait qu'il se présente.


"Salut. C'est moi, David," dit-il. Faute de voir un quelconque indice qu'elle le reconnut dans ses yeux, il ajouta, "Henley."

"Oh." Elle sembla prise de court. "Bien sûr. Entre donc." Elle ouvrit la porte plus grand et se tourna face à l'escalier. "Rebecca! Ton ami est là!" Se retournant vers David, elle l'assura, "Je suis sûre qu'elle ne sera pas longue" avant de disparaître dans la cuisine.

David attendit dans le couloir jusqu'à que Rebecca finisse par se glisser dans les escaliers, s’arrêtant au milieu des marches. Elle semblait presque effrayée. David en avait mal à l'estomac, de se savoir la cause de ce regard douloureux sur son visage 

"Salut" dit-il

"Salut." Elle serra son bras comme si elle était nerveuse 

"T'es pas venue me voir, ni rien," il dit "Tu m'aimes toujours, hein?" 
"Que je t'aime? Je te connais même pas." Rebecca fit une pause qui sembla interminable avant de parler encore. Lorsqu'elle le fit, sa voix était douce, comme si elle racontait un conte douloureux. "Il y a trois ans, ma meilleure amie à déménagée de l'autre coté du pays, et je n'ai jamais pu la revoir. on s'envoie des e-mails, bien sûr, mais c'est pas pareil. Pendant très longtemps, je n'avais plus personne sur qui compter. Jusqu'à ce que je te rencontre. Jusqu'à ce que je rencontre Faye, je veux dire. Maintenant ça recommence, mais pire que ça, parce que c'est comme si une partie de Faye était toujours là, et tu te promènes, sans même te rendre compte que tu lui a volé."

"Oh" David ne savait pas quoi dire d'autre.

"C'est tout ce que tu as à dire? 'Oh'?" 

"Je crois que je le voyais pas comme ça. J'espérais qu'on puisse toujours être amis." David regardait Rebecca, mais son regard semblait froid et perçant. "Tu sais, comme toi et elle etaient. Toi et moi, je veux dire. Je me souviens de tout, tu sais Comme vous riiez ensemble, ou échangeaient des secrets sur les garçons."

"Ouaip, ben plus maintenant, ok?" 

David resta silencieux, cherchant quelque chose à dire pour tout arranger. Au fond de lui, il savait que rien qu'il ne puisse dire ou faire ne pourrait changer ce que ressentait Rebecca.

"Alors c'est tout?" David finit par demander. "C'est comme ça qu'on va se dire adieu? Tu était tout pour elle."

Rebecca peit une pause, comme si elle voulait dire quelque chose, mais n’était pas sure qu'elle doive. Finalement elle dit: " Elle m'aimait, n'est-ce pas?" 

David acquiesça 

Rebecca regarda droit devant elle comme si elle parlait à la porte d'entrée "Je l'aimais aussi, je crois. Malgré tout." Elle se tourna pour faire face à David. "c'est pour ça que ça me fait mal de te voir."  

 "Je suis désolé" dit David. Il se maudit de ne pas être capable de penser à quelque chose de mieux à dire.

Rebecca ne lui répondit pas, mais tandis qu'il franchissait la porte, il aurait pu jurer l'avoir entendue dire "Moi aussi."





Fin

5 commentaires:

  1. Pas glop ! J'aurais préféré un happy end, le côté "ils se marièrent et eurent beaucoup de...(compléter selon l'envie du moment)"... Il y a un je ne sais quoi qui laisse un sale goût dans la bouche, une sorte de désespérance, une fatalité inexorable, une impasse...La "morale" de l'histoire, c'est quoi au juste ? Il va vivre sa nouvelle vie heureux mais sans amour ? Elle aurait dû rester dans son état précédent à se bercer d'espoir en des jours meilleurs et des lendemains qui chantent ? Quelle que soit la "solution" envisagée, il y aura toujours un truc qui manque quelque part ? Le bonheur est dans le pré ? Après la mort ? Avant la vie ?
    Vachement chiadé pour un samedi, Nickie, tu viens de me bousiller mon week end (lol).
    Blague dans le coin, ton histoire m'a rendue triste mais bon, ça va passer au bout de quelques mois il paraît...Bises à mes soeurs d'infortune....

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  2. je ne pense pas qu'il y ait une morale , je le vois plus comme une nouvelle traitée façon 4eme dimension, avec une fin ironico-désespérante typique

    mais si je devais trouver une morale ce serait "restez vous-même", david, en choisissant de se nier, à perdu ce qui finalement comptait pour lui

    je vois surtout cette nouvelle comme un moyen de se poser aussi la question à soi-même "si cette opération existait, est-ce que je la choisirais?"

    pour moi par exemple, en dépit de mes complexes, regrets et autres questions de trans, la réponse à toujours été non; parce que la seule chose que je suis sûre d'être, c'est moi !

    ce ne serait plus le cas après une telle intervention qui toucherait la seule chose dont je sois sûre et à qui je fasse confiance: ma conscience :)

    alors peut-on rejeter sa dysphorie au point de rejeter la personne qu'elle touche?

    je trouve le sujet intéressant ;)

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  3. Oui, c'est un peu comme le "syndrôme de Matrix" : ne plus avoir conscience de son "problème" (tout en se demandant si quelque part il n'y aurait pas un bug)...je sais que ce steak est virtuel et qu'il est le fruit de mon imagination, mais punaise qu'est-ce que c'est bon quand je mords dedans...

    Sauf que quelle que soit la pilule qu'on prend, il y a toujours une partie de nous qu'on efface au bénéfice de l'autre. Opter pour une lobotomie ou pour une réassignation sexuelle par un THS et de la chirurgie, ça revient pratiquement au même en fait, le tout est de ne pas se tromper de côté.

    Mais dans cette histoire, je pense qu'elle a fait le mauvais choix car je trouve qu'elle a plus une personalité féminine, nonobstant son corps qui n'est pas en adéquation, et j'irais même jusqu'à dire que ce texte illustre assez bien le mode de fonctionnement de certains psys (vous aimez les femmes donc vous êtes un garçon, et vice versa).

    Nickie, on rejette toujours sa dysphorie en rejetant une partie de la personne qu'elle touche, à moins de rester dans un état permanent "entre deux"...après, qu'est-ce qui définit une personne, je pense qu'il y a plus que la simple conscience, sinon nous ne serions pas là avec nos problèmes de transidentité.
    Welcome to the real world :)

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  4. je trouve pas du tout que la chirurgie efface ou change quoi que ce soit à la personne que je suis :p

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  5. C'est clair. Le corps, la personne, l'identité ne sont que des filtres.

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